L’expertise française dans le nucléaire reste primordiale face aux enjeux de décarbonation internationale

Tandis que la demande énergétique continue d’augmenter à travers le monde, l’urgence climatique impose de réduire le recours aux énergies fossiles. Pour concilier ces deux impératifs, la France fait valoir son savoir-faire dans le nucléaire. Puissant, abondant et décarboné, l’atome constitue une solution particulièrement intéressante pour les pays pollueurs comme la Russie, la Chine et l’Inde.
Partie sur de mauvaises bases suite à son rapatriement de dernière minute du Chili vers l’Espagne, la COP25 s’est, comme pressenti, refermée le 15 décembre sur un constat d’échec retentissant. Il faut dire que l’équation à résoudre n’était pas des plus simples, à savoir concilier hausse des besoins énergétiques mondiaux et baisse des émissions de gaz à effet de serre pour espérer limiter le réchauffement climatique à 2°C, voire 1,5°C d’ici 2100, tel que fixé par l’Accord de Paris. Malgré 40 heures de prolongations, les représentants de près de 200 nations ne sont pas arrivés à un accord satisfaisant. « Je suis déçu du résultat de la COP25, a conclu Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU. La communauté internationale a manqué une opportunité importante de montrer son ambition pour répondre à la crise climatique. » Principaux responsables de cette occasion ratée : les pays les plus pollueurs, évidemment. Car si 80 nations ont consenti à relever leurs objectifs climatiques à Madrid, elles ne représentent que 10,5 % des émissions mondiales de CO2. À l’inverse, les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre (GES) n’ont guère montré de signes de coopération. Tandis que les États-Unis ont déjà prévu de quitter l’Accord de Paris en 2020, l’Australie a refusé de bouger d’un milligramme sur le marché carbone. Même immobilisme du côté de l’Inde, de la Chine et du Brésil, qui exigent d’abord des pays développés d’« honorer leurs engagements pré-2020 » avant de consentir à leur tour à des efforts accrus. Un argument qui aura peut-être du mal à remonter jusqu’à Paris, la France ayant brillé par sa discrétion dans les derniers jours de négociations.
L’exécutif français n’était pourtant pas totalement absent du combat contre le dérèglement climatique. Parallèlement à la clôture de la COP25 à Madrid se tenait en effet le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement les 12 et 13 décembre à Bruxelles. Lors de ces deux jours au sommet, la question du climat a occupé une place centrale. La veille, la nouvelle patronne de la commission, Ursula von der Leyen, avait dévoilé son Pacte vert pour l’Union européenne. Dans son sillage, une grande majorité de pays-membres s’est ensuite déclarée favorable pour atteindre la neutralité carbone de l’UE à l’horizon 2050. Parmi les trois pays récalcitrants lors du précédent conseil, la République tchèque a demandé à ce que l’énergie nucléaire soit explicitement mentionnée dans les moyens proposés pour y parvenir. « Sans nucléaire, ce n’est pas possible », a averti le premier ministre tchèque Andrej Babis. Comme la Pologne et la Hongrie, la République Tchèque dépend encore beaucoup du charbon. Leur transition énergétique risque donc d’être plus lente que pour les autres.
Emmanuel Macron, VRP de la filière nucléaire et du modèle énergétique français
« Pour les pays qui doivent sortir du tout charbon, il est clair qu’ils ne pourront pas passer du jour au lendemain au tout renouvelable », a admis Emmanuel Macron. Dès son arrivée à Bruxelles, le président français s’est particulièrement fait entendre sur la question énergétique, endossant même le rôle de VRP de la filière nucléaire tricolore. « Chacun doit pouvoir bâtir sa transition à sa main [avec] des solutions qui sont nationales, a-t-il commenté, et le nucléaire peut [en] faire partie. Le GIEC l’a reconnu : le nucléaire fait partie de la transition. » A ce niveau, le chef de l’État peut se montrer confiant dans ses arguments. Entre 1990 et 2018, la France a en effet réduit de 19 % ses émissions de CO2 liées à la combustion d’énergie malgré une hausse du PIB de 51 % sur la même période. Selon un rapport du ministère de la Transition écologique et solidaire, le principal facteur de cette baisse n’est autre que la hausse de la production nucléaire. Grâce à l’effet « décarbonant » de l’atome sur son mix énergétique, l’Hexagone affiche des émissions de CO2 pour l’énergie inférieures de 59 % à la moyenne du G7.
Comme la France et les États-Unis, qui hébergent les deux premiers parcs mondiaux d’énergie nucléaire, d’autres pays ont compris l’intérêt de l’atome pour décarboner leur mix énergétique, et donc atteindre leurs objectifs climatiques. Parmi les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre au monde, la Russie s’appuie sur l’expertise de la filière nucléaire française pour améliorer son bilan carbone. En 2005, l’agence russe de l’énergie nucléaire Rosatom avait ainsi signé un contrat avec Areva pour la construction d’une usine de défluoration d’uranium appauvri. Le 10 décembre 2019, Orano (ex-Areva) a de nouveau fait affaire avec Rosatom pour la livraison d’une deuxième unité dans le pays d’ici 2022. Entretemps, Moscou a diminué ses émissions de CO2 de 11,6 % entre 2013 et 2017 (1,54 milliard de tonnes par an, contre 1,8), selon les données de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Mais c’est surtout du côté des pays émergents que le savoir-faire français s’exporte le mieux en matière de nucléaire.
Les pays pollueurs traînent des pieds
En Chine, EDF a déjà livré et assuré la mise en service des deux premiers EPR (réacteur pressurisé européen) au monde sur le site de Taishan. En moins d’un an, Pékin s’est en effet équipé des deux réacteurs les plus puissants sur la planète avec 1 750 MW. La France est également bien placée pour la construction d’une usine de traitement des combustibles usés en Chine. La signature d’un contrat entre Orano et l’agence chinoise CNNC devrait intervenir fin janvier 2020. “L’Asie – Japon, Chine, Corée et peut-être bientôt l’Inde – est pour nous le continent à fort potentiel, où nous réalisons plus de 25 % de notre chiffre d’affaires, indique Orano. Depuis Fukushima, la production d’électricité nucléaire croit faiblement, mais de manière ininterrompue. On devrait retrouver d’ici deux à trois ans les niveaux pré-Fukushima. Pour des raisons économiques et de lutte contre la pollution, c’est une source d’énergie incontournable.” Si le spécialiste du cycle du combustible nucléaire lorgne sur l’Inde, c’est parce qu’EDF y est déjà présent. En 2018, l’énergéticien a signé un accord de coopération pour la construction d’une centrale comprenant six réacteurs EPR à Jaitapur. Avec plus de 9 GW de capacité installée, le site deviendrait alors le plus puissant au monde, capable d’alimenter jusqu’à 14 millions de foyers en électricité…décarbonée !
Pour tous ces pays, l’enjeu est de taille alors que les émissions de CO2 continuent de croître dans le monde. Depuis la signature de l’Accord de Paris fin 2015, elles ont augmenté de 4 %. La faute à une consommation d’énergies fossiles elle aussi en hausse Entre 2008 et 2018, la production mondiale d’énergie commercialisée aurait progressé de 32,3 % pour le pétrole, de 28,3 % pour le charbon et de 24 % pour le gaz naturel, selon BP. Pour espérer limiter la hausse des températures à 1,5°C, la production d’énergies fossiles prévue d’ici 2030 serait ainsi 120 % trop élevée, et au moins 50 % trop élevée pour un objectif moins ambitieux à 2°C. « Pour limiter à 1,5°C, il faudrait pratiquement diviser par deux ces émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, résume le climatologue et glaciologue Jean Jouzel. Pour avoir une chance de rester autour de 2°C, les engagements des États doivent être multipliés par trois. Et pour arriver à 1,5°C, par cinq, ce qui reste techniquement possible mais est difficile à imaginer. […] La stabilisation des émissions passe aussi par leur maîtrise dans les pays émergents, comme la Chine ou l’Inde, qui ont largement contribué à l’augmentation des émissions depuis 2000. » Au sortir de la COP25, l’affaire semble toutefois bien mal engagée, chaque grande puissance attendant que l’autre fasse le premier pas. « Avec le retrait des États-Unis, celui plus ou moins annoncé du Brésil, l’Australie qui traîne des pieds, [la] solidarité a été écornée », confirme Jean Jouzel. Une liste à laquelle sont venus s’ajouter le Japon et Singapour, qui refusent de relever leurs objectifs. Or si toute l’humanité émettait autant de CO2 que les Japonais, Singapouriens, Chinois, Américains, Australiens et Russes, la température terrestre augmenterait de 4 à 5 °C d’ici 2100…