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Ces dernières années, la dette publique des États-Unis a augmenté assez rapidement. La dette du gouvernement fédéral vient de dépasser la barre des 35 000 milliards de dollars, ce qui fait de la dette publique américaine la plus importante au monde en termes absolus. Cependant, en termes relatifs, pour l’année 2023, le ratio dette/PIB des États-Unis s’établissait à environ 123 %, un niveau élevé, mais inférieur à celui de pays comme le Japon et l’Italie.

Le plus étonnant dans la croissance de la dette publique, c’est qu’elle s’accroît à un moment où l’économie américaine est plutôt solide. Les républicains diront que c’est à cause des dépenses publiques « inconsidérées » votées sous l’administration de Joe Biden. En fait, Warren Mosler, le parrain de la théorie monétaire moderne qui prône des déficits publics importants en période de faible croissance économique pour revenir au plein emploi, a récemment déclaré que le gouvernement américain « dépense comme un marin ivre ». Les démocrates riposteront en rappelant aux républicains les réductions d’impôts « inconsidérées » de Trump et le montant record de la dette publique qu’il a laissée.

Même si ces deux affirmations comportent une part de vérité, le débat national sur les déficits publics et la dette néglige souvent les facteurs structurels internationaux importants. Pour bien comprendre les raisons de l’ampleur de la dette américaine et ses effets sur le plan national et international, il faut tenir compte de ces facteurs.

La raison pour laquelle les États-Unis doivent accumuler d’importants déficits est simple : le statut international du dollar américain. Comme je l’ai déjà expliqué dans cette publication, le statut international du dollar américain (la monnaie du commerce international et la monnaie de réserve mondiale) gonfle la valeur du dollar américain par rapport aux autres devises et tire la production nationale en dessous de la demande intérieure, ce qui entraîne un déficit commercial.

Les pays qui ont un déficit commercial ont deux options pour faire face aux défis posés par une production nationale faible par rapport à la demande intérieure. La première est un chômage plus élevé. Les producteurs nationaux ne sont pas en mesure de concurrencer des importations économiquement plus attractives et sont obligés de réduire leurs activités ou de fermer boutique, ce qui entraîne une diminution du nombre de personnes employées. La deuxième option, un endettement plus élevé, est plus attrayante politiquement et économiquement. Elle permet à davantage de personnes de conserver leur emploi et à la demande intérieure de ne pas être touchée par une production nationale relativement plus faible. Cependant, ces déficits – à la fois budgétaires fédéraux et commerciaux – renforcent le statut international du dollar américain en fournissant au monde des dollars pour le commerce et l’accumulation, ce qui rend ce cycle bien ancré.

Quelles seront les conséquences des déficits budgétaires importants et de la dette croissante des États-Unis sur l’économie mondiale ? D’un côté, les déficits budgétaires importants des États-Unis renforcent la demande intérieure et donc le déficit commercial avec le reste du monde. Cela crée une demande pour les produits fabriqués hors des États-Unis et contribue à la croissance mondiale.

La Réserve fédérale américaine à Washington, DC, États-Unis /Xinhua

D’un autre côté, un déficit important en période de faible chômage n’est pas de bon augure pour l’inflation. En 2025, les États-Unis auront un nouveau président, et il (ou elle) tentera de faire passer une nouvelle législation qui ne manquera pas d’accroître le déficit et de provoquer de l’inflation. Cela obligera la Réserve fédérale à retarder les baisses de taux d’intérêt, ou pire, à les relever à nouveau. Comme une crise de la dette pourrait très bien commencer dans les pays en développement dont la dette est libellée en dollars américains, de nouvelles hausses des taux d’intérêt par la Réserve fédérale leur porteraient un coup fatal. Une crise de la dette dans le monde en développement entraînerait des dommages inimaginables aux moyens de subsistance de leurs citoyens et au bien-être de leurs économies nationales, ce qui conduirait très certainement à des crises sociales, voire politiques.

L’endettement public des Etats-Unis implique qu’une part importante du budget fédéral doit être consacrée au service de cette dette, ce qui pourrait entraîner une augmentation de la dette. Si l’indépendance de la Réserve fédérale ne permet pas une coordination avec le Trésor et le Congrès, ce cycle de dette élevée entraînant une augmentation des coûts du service de la dette, qui à son tour entraînerait une augmentation de la dette, pourrait conduire à une crise. Les Etats-Unis seraient contraints de maîtriser leur déficit fédéral, ce qui entraînerait un ralentissement économique qui porterait un coup dur aux résidents des Etats-Unis, à savoir les plus démunis, et à l’économie mondiale, qui dépend en partie de la demande américaine.

L’endettement public des Etats-Unis pourrait certes conduire à des crises, tant nationales qu’internationales, mais il existe un moyen de les contenir : changer le statut international du dollar. Comme nous l’avons déjà dit, le cycle enraciné des déficits publics, des déficits commerciaux et du statut international du dollar se renforce. Si les Etats-Unis souhaitent se réindustrialiser, contenir leur endettement et contribuer à un système commercial mondial et à un environnement économique international plus stables et plus équilibrés, ce cycle doit être rompu.