Kazakhstan : un scrutin scruté

Kazakhstan : un scrutin scruté

Dans quelques heures, 11 millions d’électeurs kazakhs se rendront aux urnes pour élire leur prochain Président de la République. Un scrutin observé de près par les russes, les chinois et les occidentaux.

« Aussi petit que soit le moineau, il protège toujours son nid » : le proverbe kazakh viendra peut-être à l’esprit de certains électeurs qui se rendront aux urnes dans quelques heures au Kazakhstan.

Car le pays et ses 20 millions d’habitants doit, depuis son indépendance en 1991, trouver sa place entre les géants russes et chinois. Des puissances démographiques, économiques, militaires et culturelles entre lesquelles le Kazakhstan, lointain héritier des peuples turco-mongols nomades qui peuplaient les steppes, doit trouver sa place… Et farouchement la défendre.

Pour se faire, le Kazakhstan mise depuis plusieurs années sur une diplomatie ouvertement multilatérale pour exister sur la scène internationale et pour se préserver de ses encombrants voisins. Membre de « l’Organisation du traité de sécurité collective » avec la Russie, membre de « l’Organisation de coopération de Shanghai » avec la Chine, porte-parole de la lutte pour le désarmement nucléaire et diplomatie religieuse unique au monde : Astana n’économise pas ses efforts pour se présenter comme un interlocuteur incontournable auprès de toutes les grandes puissances en refusant obstinément de se ranger derrière l’une d’entre elle, mais en dialoguant avec toutes.

La démocratisation du Kazakhstan, un enjeu géopolitique

Mais depuis plusieurs mois, le Kazakhstan a aussi changé de visage : une série de réformes institutionnelles métamorphosent en profondeur la culture du politique du pays et le démocratisent au pas de course. Septennat présidentiel unique, réformes de la justice, limitation du pouvoir exécutif, batteries de mesures anti-népotisme… Le Président Tokayev, en poste depuis 2019, mise désormais sur une démocratisation au forceps de son pays pour damer le pion à la nommenklatura qui tenaient les rennes du pays depuis son indépendance.

Une tactique de politique interne qui n’est pas sans risque, beaucoup d’observateurs internationaux ayant vu les violentes émeutes de janvier 2022 comme une instrumentalisation des clans autrefois au pouvoir, qui tentèrent – et échouèrent – à reprendre la main sur le pays.

Mais cette stratégie est aussi un pari géopolitique : s’assurer les bonnes grâces des américains, et surtout, des européens. Car depuis 2002, l’UE est devenu le plus important partenaire commercial du Kazakhstan puisqu’elle est représente 40 % de ses exportations. Et avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Astana multiplie les signaux forts en direction de l’Occident : refus de soutenir l’agression de Moscou, défense de l’intégrité territoriale ukrainienne et accueil  sur son territoire des milliers de russes qui refusent de s’engager dans les armées de Poutine.

Une position finalement assez équilibrée, le Kazakhstan se refusant aussi à fournir un soutien militaire à l’Ukraine…. Et une une habile manoeuvre de la diplomatie kazakhstanaise, soucieuse de se présenter comme un intermédiaire et un interlocuteur équilibré, incontournable pour bâtir la paix.

Autant dire que Moscou va surveiller de près de le dépouillement des élections de son ancien satellite. En effet, une large réélection de Tokayev, si elle est appuyée par un fort soutien populaire – y compris chez la minorité russe et slave largement présente dans le nord du pays  – renforcerait politiquement la stratégie diplomatique d’Astana.

Une reconduction à la tête de l’Etat de l’actuel Président qui ne ferait pas du Kazakhstan un adversaire de la Russie, mais qui le légitimerait encore davantage comme le meilleur interlocuteur possible pour tenter de trouver une porte de sortie honorable à ce conflit qui s’enlise.

Une élection présidentielle kazakhstanaise scrutée aussi à l’Est, de l’autre côté du massif du Tian Shan : la Chine, avec qui le Kazakhstan partage 1 533 kilomètres de frontières, compte sur le Kazakhstan pour assurer le développement de son ambitieux projet de « nouvelles routes de la soie ». Le tracé des trajets routiers et ferroviaires passe en effet par l’immense pays d’Asie centrale pour se diriger vers l’Europe, faisant du Kazakhstan un « hub » de transport indispensable à Pékin.

Autant dire que la stabilité politique de son voisin est un enjeu de la plus grande importance pour la Chine, moins préoccupée par les changements politiques et institutionnels à l’oeuvre que par la paix et le développement économique de ce pays incontournable dans les prochaines années pour assurer ses exportations vers le continent européen.

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