Dubaï : havre de paix pour les oligarques russes

Dubaï : havre de paix pour les oligarques russes

Conséquence de la guerre en Ukraine et des sanctions occidentales contre plusieurs dizaines de grandes fortunes russes, les oligarques déménagent massivement leurs avoirs aux Émirats arabes unis qui restent, aujourd’hui, un paradis d’opacité pour les fortunes les plus douteuses du monde.

Sanctions en cascade contre les oligarques russes

Depuis le début de l’offensive russe en Ukraine le 24 février 2022, la liste des personnalités russes sous sanctions européennes et américaines s’est massivement allongée. Au niveau européen, 700 oligarques, personnalités politiques et entreprises complètent aujourd’hui un catalogue créé après l’offensive russe en Crimée en 2014. Pour les autorités européennes, britanniques et américaines, cette liste est le fondement légal qui permet de saisir les avoirs financiers et les biens appartenant aux personnes physiques et morales accusées de collusion avec le Kremlin. Le 20 mars dernier, Bruno Le Maire annonçait ainsi que la France avait gelé pour environ 850 millions d’euros d’avoirs et de biens d’oligarques russes, dont 150 millions d’euros de comptes bancaires, 150 millions de yachts et 550 millions d’euros correspondant à la valeur d’une trentaine de villas saisies. Dernière prise de guerre, le 14 avril, le Dilbar, le yacht le plus cher du monde, propriété de l’oligarque Alisher Ousmanov, a été saisi aux chantiers navals de Hambourg, où il était en réparation. Parmi les personnalités visées par la France, citons notamment Vladimir Poutine et son cercle proche, des hommes d’affaires comme Igor Setchine, dirigeant du groupe Rosneft, dont le yacht a été retenu en France, mais aussi l’ensemble des députés ayant soutenu l’invasion russe en Ukraine, soit 386 individus.

Pour les personnalités visées par les sanctions, plusieurs stratégies de contournement existent. Beaucoup d’oligarques sont ainsi actionnaires minoritaires de leurs biens, dont la propriété effective appartient à l’un de leurs proches, femme ou enfant notamment. « Quand vous êtes actionnaire minoritaire, l’administration et la justice peuvent tout à fait considérer que l’oligarque a en réalité le contrôle effectif sur la société » explique cependant Jérôme Fournel, de la DGFiP, à France Culture. Une stratégie risquée, donc. L’autre méthode privilégiée par les oligarques est la réorientation de leurs avoirs vers certains paradis fiscaux.

Dubaï, safe zone pour la dirty money  

Parmi eux, Dubaï apparaît comme l’un des lieux favoris de villégiature. « (Les Emirats arabes unis) se sont fait une tradition du blanchiment d’argent et du contournement des sanctions internationales », souligne ainsi le chercheur Sébastien Boussois, docteur en science politique et auteur du livre « Les Émirats à la conquête du monde », pour France Culture. Un jeu d’équilibriste pour le petit État du Golfe. Les Émirats arabes unis se targuent en effet d’être l’un des meilleurs alliés militaire et diplomatique des Occidentaux, notamment dans la lutte antiterroriste. La France et les États-Unis y disposent ainsi d’une présence militaire permanente et les signes d’amitiés entre les pays occidentaux et les Émirats se multiplient, dans un contexte de refroidissement des relations avec le Qatar.

Pourtant, les Émirats ne se cachent pas de jouer sur les deux tableaux et se sont attachés à tisser des liens étroits avec la Russie. Les réunions de l’OPEP +, qui rassemble les 24 producteurs de pétrole dans le but d’apporter une relative stabilité au marché pétrolier, mènent d’ailleurs systématiquement à un alignement russe sur les intérêts émiratis. L’amitié émirato-russe s’est aussi renforcée par l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche et le désengagement américain de la région, qui se concentre désormais sur la rivalité face à la Chine. De leurs côtés, les Russes sont ainsi très attirés par « le secret, la complexité et le contrôle » qui règnent aux Émirats. D’un point de vue pratique, sur les 44 000 golden visa -un mécanisme d’octroi de titre de séjour de dix ans- mis en place par les EAU, entre 10 000 et 13 000 ont été destinés à des Russes, selon un diplomate américain resté anonyme, cité par Les Échos. Ce visa permet, entre autres, de faciliter les acquisitions dans le domaine de l’immobilier, un domaine particulièrement prisé des grandes fortunes désireuses de placer leur fortune. « Il est tout à fait possible de faire des virements et d’envoyer des capitaux aux Émirats arabes unis sans aucun justificatif, il n’y a aucun contrôle sur l’origine des fonds. Par ailleurs, on a pu assister depuis plusieurs jours à des vols privés, de jets, qui se sont rendus directement de Russie aux Émirats » explique Sébastien Boussois.

Les grandes fortunes russes ne sont pas les seules à avoir trouvé, à Dubaï, un lieu privilégié de villégiature. La famille Barzani, l’une des plus puissantes du Kurdistan irakien, où la corruption est omniprésente y est ainsi implanté. Une enquête du magazine The American Prospect a ainsi révélé que le cousin du président Kurde, Masrour Barzani, y possède plusieurs propriétés, souvent au nom de ses proches ou associés. Autre personnalité, Salar Hakim, mari de la tante aujourd’hui décédée du président du kurde, serait le plus grand propriétaire irakien dans la ville avec une liaison directe identifiée à, au moins, 288 appartements à Dubai. Sirwan Barzani, autre membre de la famille, neveu de l’ancien président du Kurdistan irakien Masoud Barzani et de l’actuel Premier ministre du Kurdistan irakien Masrour Barzani, a d’ailleurs été mis en cause dans l’affaire Korek qui, en 2014, avait valu au groupe Orange d’être exproprié de son investissement dans un groupe irakien de télécom, sur fond de corruption. Plus largement, les Pandora Papers, rendus publics en octobre 2021, ont mis la lumière sur les pratiques émiraties et sa bienveillance en faveur de l’argent sale. Plusieurs dizaines de milliers de personnes physiques et morales sont concernées.

Le gendarme anti-blanchiment hausse -modérément- le ton

Le manque de volonté des Émirats arabes unis dans le domaine de la lutte contre la criminalité financière lui a d’ailleurs valu une inscription dans la liste grise du GAFI, l’organe international de lutte anti-blanchiment, en février dernier, ce qui lui vaudra, dans les années à venir, une surveillance accrue des autorités. En effet, l’organe déplore le manque de coopération des Émirats arabes unis, dont seules 89 demandes d’assistance d’institutions étrangères dans le domaine de la lutte anti-blanchiment ont donné lieu à des actions concrètes entre 2013 et 2018. Côté émirati, la perspective n’inquiète, pour le moment, que très modérément les autorités économiques.  « Notre économique est diversifiée et les impacts d’une situation de surveillance accrue sont importants, mais ils ne nous affecteront pas », affirme en ce sens Ahmed Al Sayegh, ministre d’État des Émirats arabes unis.

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