Relations entre le Vietnam et les Corées : cap au Nord ou au Sud ?

Relations entre le Vietnam et les Corées : cap au Nord ou au Sud ?

Le chef de la diplomatie nord-coréenne s’est rendu le 30 novembre dernier au Vietnam tandis que, quelques jours plus tard, la présidente de l’Assemblée nationale vietnamienne se rendait en Corée du Sud. Ce chassé-croisé diplomatique met en lumière des relations marquées par l’histoire.

Le Vietnam, une source d’inspiration pour la Corée du Nord

Après s’être rendu rendu en Iran, en Russie, en Chine, au Turkménistan et en Azerbaïdjan cette année, le chef de la diplomatie nord-coréenne Ri Yong Ho a rencontré à Hanoï son homologue vietnamien Pham Binh Minh, le Premier ministre Nguyen Xuan Phuc et des experts en agronomie.
Profitant de l’actuelle accalmie diplomatique, Pyongyang souhaite soigner ses relations à l’étranger et apparaître comme un membre respectable de la communauté internationale, mais aussi développer des relations économiques avec d’autres pays que la Chine afin d’être moins dépendant de son imposant voisin.
Le Vietnam entretient des relations diplomatiques avec la Corée du Nord depuis les années 1950, mais leurs échanges commerciaux officiels sont faibles : le Vietnam y exporte principalement des denrées alimentaires, pour moins de 7 millions d’euros par an (à titre de comparaison, les échanges entre la Corée du Nord et la Thaïlande étaient de plus de 100 millions d’euros en 2014).

Néanmoins, au-delà des questions commerciales, c’est un modèle de développement que les autorités nord-Nord-Coréennes sont venues étudier au Vietnam. En effet, Hanoï a mis en place en 1986 la politique du Doi Moi (Renouveau), transformant son économie planifiée en économie de marché à orientation socialiste. Une réussite qui rappelle celle de la Chine et qui permet à ce pays aujourd’hui membre de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC) et de l’OMC d’être une des économies les plus dynamiques d’Asie avec un taux de croissance de 6,8 % en 2017, tout en ayant conservé un système politique à parti unique.

Avec la Corée du Sud, des relations importantes, mais plombées par la question des Lai Dai Han

Moins d’une semaine plus tard, le 4 décembre, la présidente de l’Assemblée nationale du Vietnam, Nguyên Thi Kim Ngân, s’est rendue en Corée du Sud accompagnée d’une délégation de haut rang pour une visite officielle de quatre jours. Une visite quasi simultanée qui symbolise le fait que, si les relations économiques du Vietnam avec la sœur ennemie du Nord sont encore balbutiantes, les relations avec la Corée du Sud sont quant à elle bien installées et très fructueuses.

Depuis le rétablissement des relations diplomatiques en 1992, les échanges entre ces deux pays membres de l’ASEAN n’ont cessé de prospérer dans tous les domaines : politique, économique, sécuritaire, culturel et sociétal. En août 2001, Hanoï et Séoul ont adopté une déclaration commune sur un « partenariat intégral au XXIe siècle » tandis qu’en octobre 2009, ils ont porté leurs relations au niveau de partenariat stratégique puis ont signé un accord de libre-échange bilatéral entré en vigueur en 2015.
Il s’agit d’une success-story de 26 ans, dont les chiffres parlent d’eux-mêmes : d’un demi-milliard de dollars américains en 1992, les échanges commerciaux entre les deux pays sont passés, en 2017, à 58,5 milliards de dollars — soit une impressionnante multiplication par 117 qui hisse le pays du matin calme à la troisième place des partenaires commerciaux du Vietnam. La Corée du Sud est par ailleurs le premier investisseur au Vietnam, et occupe la 2e place en matière d’aide publique au développement avec 1,5 milliard de dollars pour la période 2016-2020. Ces performances s’expliquent par la complémentarité des deux économies : La Corée du Sud dispose de capital, de technologies de pointe et de savoir-faire ; tandis que le Vietnam possède une main-d’œuvre jeune (60 % des Vietnamiens ont moins de 35 ans) abondante et qualifiée.
Les Sud-Coréens constituent par ailleurs le 2e contingent de touristes au Vietnam et il y a plus de 20 000 étudiants vietnamiens en Corée du Sud. Quelque 150 000 Coréens vivent et travaillent au Vietnam, et 170 000 Vietnamiens en Corée du Sud — ce qui aboutit au fait que plus de 60 000 Vietnamiennes ont épousé un Sud-Coréen. Ces familles mixtes sont aujourd’hui officiellement promues par les autorités comme des « messagers diplomatiques » chargés de promouvoir « l’alliance » entre les deux pays ; mais elles en rappellent d’autres, beaucoup moins heureuses.

En effet, l’histoire tragique des Lai Dan Han demeure une épine douloureuse dans les relations entre le Vietnam et la Corée du Sud. Les Lai Dai Han — littéralement les enfants de « sang-mêlé » — est le nom donné aux enfants nés du viol de femmes et fillettes vietnamiennes par des soldats sud-coréens lors de la guerre du Vietnam ; plusieurs centaines de milliers de ceux-ci épaulant alors les opérations militaires américaines. Cet épisode quasi inconnu en Europe concerne de 5 000 à 30 000 enfants et leurs familles qui, du fait de leur ascendance étrangère et de leur absence de père, vivent encore aujourd’hui un véritable enfer quotidien marqué par le racisme et l’exclusion sociale, professionnelle et économique. Un véritable drame humain dans lequel la Corée du Sud refuse de reconnaître sa responsabilité : en 2013, le porte-parole du ministre sud-coréen de la Défense a même été jusqu’à affirmer que « vu que notre armée a exécuté sa mission sous des règles strictes, il n’y a eu aucune exploitation sexuelle de femmes vietnamiennes ». Un déni qui frise le négationnisme et qui montre à quel point ce sujet demeure tabou au pays du matin calme.
Si la Corée du Sud souhaite franchir une nouvelle étape de ses relations avec le Vietnam, elle ne pourra néanmoins faire l’économie d’une assomption des crimes commis par ses troupes afin de crever un abcès mémoriel qui continue à empoisonner la vie de tant de Vietnamiens.

En attendant le mea culpa de Séoul (qui ne viendra peut-être jamais), c’est business as usual, et même better than usual : le total des échanges commerciaux entre la Corée du Sud et le Vietnam a atteint près de 33 milliards de dollars au cours du seul premier semestre 2018, et les deux pays ambitionnent de porter ce montant à 100 milliards de dollars annuels d’ici 2020.
Malgré le poids de l’histoire, la Corée du Sud est donc un partenaire économique majeur et indispensable à Hanoï, tandis que le faible poids économique de sa sœur du Nord la destine à être une zone d’influence du Vietnam, où celui-ci pourra exporter son expertise de pays communiste converti avec succès à l’économie de marché.

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